La Princesse Sturdza n’est plus
En ce début du mois de décembre, une grande figure du monde du jardinage est disparue. La Princesse Sturdza est décédée à l’âge de 94 ans. Durant un demi-siècle et jusqu’à ses derniers jours, elle a planté des arbres et des arbustes dans ce qui est considéré comme un des plus beaux jardins en Europe: le Vasterival, près de Dieppe en Normandie.
En juin 2006, la Princesse Sturdza m’avait accueilli au Vasterival avec l’équipe de tournage de l’émission “Jardins & loisirs”. C’est lors de l’enregistrement du début de l’émission que cette photo fut prise par Didier Willery, le directeur technique qui assistait la Princesse dans la gestion et le développement du jardin. Didier Willery poursuivra l’œuvre de la Princesse dans cette belle destination pour les passionnés de jardins. Le Vasterival restera en effet ouvert aux visiteurs. En hommage à la princesse Sturdza,je vous propose dans ce blog l’article que j’avais consacré au Vasterival en 2005 à l’occasion de la sortie de presse du livre “Un jardin pour les quatre saisons”.
Le vasterival, douze mois de floraisons
C’est sans doute le Sissinghurst de ce côté-ci de la Manche : le Vasterival est aussi un jardin dont la renommée grandit chaque fois qu’un jardinier raconte à un autre passionné sa visite de cet espace de référence. Bien sûr, comme il se doit, un jardin est indissociable de la personnalité de son créateur. Dans la double tour du château de Sissinghurst, on peut visiter le bureau de la romancière et poétesse Vita Sackville-West. Elle et son mari l’écrivain Harold Nicolson qui développèrent le jardin à partir de 1930 jusqu’à leur mort constituèrent un couple partageant un amour profond et élevant deux enfants, tout en menant chacun en parallèle des relations homosexuelles qui défrayèrent la chronique dans l’Angleterre encore puritaine. Au Vasterival, c’est surtout le caractère de la Princesse Sturdza qui alimente les anecdotes. Cette passionnée de jardinage d’origine norvégienne, épouse d’un prince hongrois, guide les visiteurs avec fermeté. La princesse n’hésite pas à menacer du manche de la griffe de jardin qui ne la quitte pas celui qui ose s’écarter du sentier… Même rudesse avec le visiteur qui sort son appareil photo sans permission. Ces petites histoires sont en tout cas révélatrices de l’énergie et de la volonté d’un grand nom de l’horticulture. Aujourd’hui nonagénaire, la Princesse Sturdza conduit toujours à toute allure la tondeuse à siège, se griffant en frôlant les rosiers. Cet automne, on pouvait voir sa silhouette mince s’agenouiller dans les massifs pour nettoyer les écorces des arbustes qui peuvent attirer le regard durant l’hiver. Depuis cinquante ans, Greta Sturdza consacre une énergie exceptionnelle à son jardin.
Quinze mille plantes
Quand la Princesse Sturdza investit le Vasterival au début des années cinquante, cet endroit au sol humide était battu par les vents du large. Quelques grands arbres se dressaient parmi les broussailles. Quel contraste avec la diversité des points de vue offerts aujourd’hui au fil des petits vallons qui se succèdent dans cette propriété s’étendant maintenant sur douze hectares. Combien de variétés de plantes sont présentes ? Au moins quinze mille. Toutes ces plantations, la princesse les a effectuées de manière serrée pour créer un sentiment d’abondance. Elle a aussi développé un art paysager basé à la fois sur une connaissance technique des espèces et un regard artistique. Greta Sturdza sait où planter un arbuste pour qu’il trouve les bonnes conditions de culture, elle sait où et quand le tailler pour favoriser une floraison optimale. Mais il s’avère aussi que l’arbuste a été placé à un endroit où il ne peut que révéler tous ses atouts dans la lumière du matin.
Du mulch
En parcourant le Vasterival, les jardiniers sont toujours surpris par l’épaisse couche de déchets végétaux présente dans les plates-bandes, entre les vivaces et au pied des arbustes. Ce mulch est un des points les plus importants du savoir-faire de la princesse. Étalée avant l’hiver, cette couverture composée des feuilles mortes ratissées en automne, de fumier bien décomposé et de compost formé par les déchets verts du jardin, cumule les avantages. Tout d’abord, le gel pénètre moins profondément et provoque peu de dégâts parmi les plantes. Ensuite, les vers de terre sont particulièrement actifs sous le mulch, incorporant progressivement cette matière organique dans le sol. La terre est meuble sans que les racines des arbustes aient été abîmées par un bêchage hivernal. Voilà pourquoi la princesse emporte toujours une griffe de jardin lors des visites guidées. Si, durant ses explications, elle pénètre dans une plate-bande, elle griffera ensuite le sol pour décompacter la terre qui s’est enfoncée sous ses pas. Les engrais chimiques sont bannis du Vasterival. Non seulement la couverture organique constitue la seule fumure répandue au jardin, permettant des croissances remarquables des branches à fleurs des arbustes après une taille (des pousses de deux mètres en un seul été sont courantes) mais l’humus retient aussi l’humidité durant les étés secs.
Un an de beauté
Didier Willery parcourt le Vasterival au fil des saisons. Ses clichés qui illustrent le livre que la Princesse Sturdza vient de publier montrent à quel point les plantations ont été effectuées pour que chaque parcelle soit intéressante durant toute l’année, du 1er janvier au 31 décembre. Les photos, prises au même endroit à différentes saisons, révèlent qu’il n’y a pas d’apogée de beauté. Même le paysage hivernal du jardin, quand les arbres ont perdu toutes leurs feuilles et que les massifs semblent transparents, retient le regard. Voilà pourquoi la princesse parle de temps au pluriel. Il y a le temps des magnolias et des cerisiers à fleurs, puis le temps des rhododendrons. Ensuite, vient le tour des roses et des clématites, suivi du temps des hydrangeas. Le temps des feuillages n’est pas le moment du déclin pour le repos hivernal. Pendant les mois d’hiver, le Vasterival révèle les écorces colorées, les hamamelis, les daphnés, les hellébores, les perce-neige. Greta Sturdza explique d’ailleurs que c’est janvier qui est son mois préféré au jardin. Son livre, bourré de photos, n’est pas seulement une visite du Vasterival au fil de l’année. Il constitue un manuel pratique pour créer des parterres renouvelant leurs charmes de semaine en semaine.
Un jardin pour les quatre saisons, Le Vasterival ou l’art de créer des massifs attrayants toute l’année, Princesse G. Sturdza (photographies de Didier Willery), 168 pages, 400 photos, éditions Ulmer.